Pourquoi punir les grands éclopés ?

Il suffit d’un mal de vivre, d’une maladie d’amour, d’une souffrance physique ou psychologique pour qu’un suicidaire passe à l’acte. Sans demander la permission. Sans autorisations. Le suicide n’est pas une option, dit le slogan. Mais les suicidés, eux, ont passé outre. La douleur était trop intense. Ils étaient jeunes, adultes ou vieux. La société qui glorifie la vie réussit à en rescaper quelques-uns. Trop peu. Mais que peut-on faire pour se soustraire à la douleur ? Sinon que de mettre fin à cette souffrance. Il est facile de se suicider quand on le peut.

Mais il y a les grands éclopés de la vie qui ne peuvent pas. Qui souffrent aussi. Toujours. Souvent plus intensément.  Tous les jours, ils n’ont que la souffrance et leur handicap tant physique que psychologique comme compagnon. Compagnon qui occupe leurs pensées jour et nuit. Comme les maladies dégénératives de  Lou Gehrig, d’Alzheimer, et tellement d’autres.

Certains gardent leur lucidité et d’autres atteignent la démence. Ils perdent leur autonomie et deviennent dépendants des autres. Ils ont souvent de longues années malheureuses devant eux. 10, 20, 30 années ? À souffrir. Dans l’indignité.

 Plusieurs éclopés souhaitent la mort. Ils envisagent « lucidement » le suicide. Mais le suicide n’est pas à leur portée à cause de leur handicap. À moins d’un suicide assisté qui est illégal. Ils doivent « Vivre sans la Dignité ». À vivre longtemps, à endurer le calvaire sans dignité. Pourquoi punir ceux qui souffrent cloitrés dans leur corps ? Il y a ceux qui souhaitent vivre quand même. Mais il y a les autres.

Pourquoi punir les grands éclopés tandis que les biens portants y ont facilement accès. Le suicide n’est pas une option, dit le slogan; c’en est une pour les grands estropiés de la vie. Le suicide assisté est une option en Suisse où plusieurs se rendent à la Société Dignitas comme le cas célèbre de Lou Rodriguez. Elle n’est pas seule. Il y en a plusieurs autres comme Monique Hamel qui ont suivi sa trace. Pourquoi ne pas parler du suicide assisté par compassion ?

On invoque les vertus de la vie jusqu’à la fin de la vie.  Malgré les souffrances atroces. La fin de vie est souvent lointaine. Ceux qui ne souffrent pas, soit les biens portants en autorité, décident du sort des « balafrés »  en imposant des conditions impossibles. Tous les moyens sont moralement acceptables pour les priver de « Mourir dans la dignité ».

Surtout avec l’allongement de l’espérance de vie, les années peuvent être longues et interminables avant « la fin de vie ». Le martyre peut s’éterniser. Les années précédentes ne comptent pas, c’est la « fin de vie » qui compte. La notion de droit remplace l’humanisme.

Il a fallu un « meurtre par compassion » pour que l’opinion publique rouvre le débat sur la loi de « Mourir dans la Dignité ». Les restrictions importantes de cette loi ont provoqué aussi la compassion du public envers le meurtrier. « L’affaire Cadotte ».

Victime depuis de nombreuses années de la maladie d’Alzheimer à un stade avancé, aux souffrances intenables, atteinte de démence, elle était incapable de signer le document de consentement requis par la loi. Devant le supplice insoutenable, son mari décida, par amour, de mettre fin aux jours et aux souffrances de sa femme en acceptant les conséquences d’un meurtre. C’était là les séquelles d’une restriction de la loi.

Nous sommes devant un cas de démence où seul un tiers doit motiver les souffrances en lieu du malade. Inacceptable par la loi. On dit que cette permission pourrait ouvrir la porte à des dérapages. Bien sûr, le dérapage est possible !  Ne peut-il être contrôlé par des balises ? Allons-nous priver l’Humanisme de fleurir en cas de mauvaises herbes ?

Par respect, un Alzheimer, sachant la détérioration prévisible de son cas durant sa période de lucidité, pourrait donner une procuration explicite. Cette dernière pourrait restreindre l’acharnement thérapeutique à le tenir en vie inutilement, toujours par respect et « Mourir dans la dignité ».

Il ne faudrait pas oublier la déférence due au proche aidant. L’épanchement du député Bonnardel face à sa mère souffrante d’Alzheimer depuis 13 ans, imaginez 13 ans, est un témoignage parmi des centaines d’autres.

J’ai souvenance de mon père paralysé sur un lit d’hôpital, son refuge permanent, pendant sept années. Des conditions aux plaies de lit ! La vue brouillée, même l’ouïe s’est mise de la partie, pas de journaux,  pas de télé, les conversations étaient pénibles pour lui et ses visiteurs malgré sa lucidité. Il s’écriait souvent en pleurant : « Dieu vient me chercher! »

Comment croire qu’il est humain de terminer une vie de labeur aussi bêtement, aussi tristement. Est-ce le sort qui nous attend ? Pourquoi une telle punition ? C’était il y a quarante ans. Et aujourd’hui ?

Souffrance, consentement et fin de vie sont les trois prérequis pour  « Mourir dans la dignité ». Sinon la dignité prend le bord. Il ne reste que la vie sans la dignité.

 

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Une réflexion au sujet de « Pourquoi punir les grands éclopés ? »

  1. Bonjour,

    Il arrive des fois où il n’y a pas d’issue. La seule solution est de mettre fin à ses jours. Il est beaucoup plus inhumain de laisser une personne se suicider plutôt que de lui offrir l’aide médicale à mourir.

    Les dérapages ne seront pas si nombreux car selon mon expérience de travail même à 75,85,95 ans et plus, en général, les gens veulent vivre. Mais pour certaines personnes la maladie est trop souffrante, trop dégénérative, pas assez rapide ils ont besoin de l’aide de la médecine pour mourir dans la dignité.

    Imaginez le dilemme vivre dans une totale dépendance et une grande souffrance ou demander l’aide médicale à mourir lorsqu’on le peut encore. J’ai beaucoup de respect et d’empathie pour les malades et ceux qui les soignent. Ne prenons pas 10 ans pour en discuter. Agissons de manière responsable et améliorons la loi dans un délai raisonnable. Un préconsentement avant la maladie fait selon la loi devrait être permis. Merci.

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