Lisons-nous suffisamment ?

BERNARD PIVOT a animé la célèbre émission APOSTROPHE sur la production littéraire à la télévision française et diffusé au Québec pendant quinze ans, devant six millions de téléspectateurs.

Par la suite, il a animé Bouillon de Culture et l’on se souvient tous de la GRANDE DICTÉE qui fut reprise au Québec par Paul-André Gérin-Lajoie avec aussi un grand succès.

Bernard Pivot vient de mourir à l’âge de 89 ans.

Je ne veux pas consacrer ce texte sur lui, mais sur la lecture des livres dont il fut une icône dans toute la francophonie.

Au Québec, comment se porte la lecture des livres ? Lit-on plus ou moins ? Avec l’avènement des appareils numériques comme les tablettes numériques et les téléphones cellulaires qui nous accaparent au moins quatre heures par jour, souvent pour des futilités, combien nous reste-t-il de temps pour lire un livre qui sait nourrir notre esprit ?

Sommes-nous un peuple analphabète ? Nous l’étions à l’époque où nous appartenions majoritairement à une cohorte d’agriculteurs. Mais le sommes-nous encore ? Il semble encore oui, mais à un nombre largement inférieur et surtout en partie seulement. Nous sommes plus éduqués et en plus grands nombres. Nous avons accès à un système d’éducation tellement plus élaboré et sophistiqué.

Les œuvres du passé des grands esprits demeurent, toujours et encore, de grandes œuvres. Quand j’insiste sur les grandes œuvres, ce sont les idées, le savoir, la poésie et surtout le choix des mots qui rendent la langue française si belle et si précise dans l’élaboration de la pensée.

Un peuple qui ne lit pas est voué à son insignifiance, à sa sécheresse intellectuelle.

Toutes les grandes nations, grâce à leur langue personnelle bien utilisée, ont fait naître une littérature et une pensée bien construite. Que ce soient les Allemands, les Japonais, les Russes, les Espagnols, les Chinois et les autres, leurs apports culturels à la pensée des cerveaux de l’humanité qui peuple la planète sont inexprimables et phénoménaux.

Le plaisir de lire est au cœur de cette activité. Que d’heures se sont écoulées sans voir le temps passer quand le regard s’est fixé sur les mots qui veulent nous raconter des émotions, des idées, des histoires, des réflexions et nous imprégner d’un peu de sagesse.

Bien sûr, on parle toujours de tourner la page de papier, de respirer l’odeur de la feuille imprégnée de l’encre, de ce livre qui trouvera une place bien en vue sur l’étagère d’une bibliothèque.

Et pourtant aujourd’hui, les yeux s’attardent plus souvent sur un écran numérique pour lire les textes. Malgré les études qui démontrent que la lecture numérique contribue moins au développement du cerveau que la lecture sur papier.

C’est comme écrire avec sa main sur un papier en utilisant un crayon ou une plume développe le cerveau bien au-delà de taper du bout des doigts sur un clavier.  Certains grands auteurs contemporains comme Marie Laberge et Victor-Lévy Beaulieu et autres écrivent les mots de leurs romans sur des feuilles avec une plume à la main.

Comme si écrire avec son corps active l’intelligence. Ce que ne permet pas le clavier.

À ceci doit s’ajouter le nombre de mots que compte notre vocabulaire. Les mots de la langue française expriment avec précisions les divers sens de la pensée, surtout la pensée immatérielle. Ce que peu de langues réussissent.

J’écoute souvent les débats à la télévision française pour remarquer qu’on y emploie un plus grand choix de mots français pour s’exprimer. Les citoyens français utilisent un plus grand nombre de mots de la langue française que nous. Ils sont plus précis que nous dans l’élaboration de leurs pensées, de leurs opinions. Comment est-ce possible ? Il n’y a que la lecture plus intense qui nourrit le cortex de notre intelligence. Et surtout la lecture des bons auteurs qui écrivent leurs textes avec un choix de mots plus prodigues.

À 8 ans, comme je demeurais près de la Maison Bellarmin, la maison-mère des Jésuites, je devins un fidèle servant de messe tous les matins. Dans l’attente, je dévorais tous les livres de la bibliothèque. Évidemment, j’ai commencé par me passionner des aventures de Tintin, puis de livres plus sérieux.

Je me souviens de mon premier livre écrit par Alexis Carrel dont j’ai le titre en mémoire : l’Homme, cet inconnu !  Il y fustigeait la médecine qui se faisait en silo plutôt qu’avec une approche globale. Quelle découverte ce fut pour moi. Mon intérêt grandissait pour la littérature française. Que de livres j’ai lus ! Les grands auteurs me devinrent familiers. Et le goût des mots me passionnait et suscitait une grande curiosité.

Aujourd’hui à 82 ans, je fouine encore dans les livres pour le plaisir. À 70 ans, j’ai souffert pendant deux ans pour écrire un bouquin où j’ai livré mes opinions sur une multitude de sujets, et où j’ai été accompagné par une langue française que je qualifie d’honorable. Et depuis lors, je transpose ma prose d’une façon hebdomadaire dans le cadre de ce blogue que vous lisez avec assiduité.

Avec les années, je réalise que j’emploie de moins en moins de mots précis et jolis pour m’exprimer. Ma mémoire oublie, mais ma passion persiste. J’insiste pour écrire ces deux ou trois pages afin de conserver le cortex de mon cerveau actif.

Et je continue à lire des auteurs prolifiques, et me surprends à feuilleter la prose de vieux écrivains dont la plume élégante est toujours aussi pertinente.

L’arrivée de l’Intelligence Artificielle vient tout bousiller. Des spécialistes ont soumis trois phrases à l’IA et commandé la rédaction d’un roman d’une centaine de pages. Ce qui fut fait avec un résultat de qualité et de cohérences. Est-ce possible d’imaginer qu’un robot remplacera un écrivain humain ?

Je vous laisse sur cette réflexion du futur. Le peu d’années de vie qu’il me reste me permettra sans doute d’éviter cet écueil et de continuer à nourrir mon plaisir de lire et d’écrire.

Claude Bérubé

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