Pendant que je vieillis bien, d’autres s’acharnent à tenter de rajeunir.

6 juillet 2024

Quand j’avais 40 ans, j’ai trouvé insupportablement vieux les gens de plus de 60 ans.  J’ai même osé les qualifier de passéistes, suggérant que leurs propos étaient proches du radotage.  Dans le confort des acquis de l’âge et avec leur passé comme référence, ils ignoraient que le monde avait changé. Je souhaitais que ces vieux s’occupent d’autre chose, qu’ils nous laissent, nous de la quarantaine, toute latitude pour bâtir le monde futur. 

Combien de propos absurdes peut-on tenir à cet âge de la quarantaine ! Surtout, quelle vision négative peut-on diffuser sur la vieillesse, cette vieillesse qu’on atteindra d’ici quarante ans ?

Maintenant que j’ai 83 ans, je trouve les gens de 40 ans, bien jeunes.  Les 43 années qui me séparent d’eux sont pleines d’un savoir qui leur fait défaut.  Je prêche évidemment pour ma paroisse.  Le radotage dont ils nous affublent est en fait un riche passé, un passé fertile qui s’exprime et donne des conseils ; c’est là que l’on trouve la sagesse. 

Est-ce que le monde a changé ?  Dans les faits, seul l’environnement de l’Homme s’est transformé ; mais pas l’Homme lui-même.  Il est toujours le même depuis le début des temps.  Il est si complexe que nous ne vivrons jamais assez vieux pour en saisir toute sa complexité.  Les connaissances qui viennent avec les années aident à nous y retrouver un tant soit peu.

En somme, j’aborde cet à-propos pour nous inciter à célébrer la vieillesse.  À 40 ans, on devrait voir la vieillesse comme un avenir prometteur de sa vie à laquelle on devrait aspirer.  Hélas, on ne souhaite pas l’atteindre puisqu’on la voit comme une étape insignifiante, dégradante, radoteuse, handicapée.  Quel avenir obscur en perspective !  Entre 40 et 65 ans, on trimbale dans son sac à dos ces préjugés opiniâtres.  À 65 ans, quand on commence à mettre ses pieds dans cette nouvelle génération, le miroir nous renvoie encore un tant soit peu l’image maquillée et stéréotypée de la vieillesse, soit celle qui se love dans le sac à dos depuis un bon bout de temps.

Pourtant, la vieillesse que je vis est heureuse, active et féconde.  Une tout autre image.

Me voilà rendu à l’âge où les rides commencent à orner les yeux rieurs.  L’âge où l’on réussit à apprendre à lire les rides pour découvrir tout un monde.  L’âge où les vieilles chansons font revivre les beaux moments, et où les souvenirs permettent de revivre les grandes émotions.

Mais pour ceux qui regardent la vieillesse qui pourrit dans leur sac à dos, seule la course au rajeunissement physique apparaît comme l’issue qui arrête le temps.

Accroire la prospérité de cette industrie prospère qui propose les pseudo-secrets de la jouvence.

Pour paraître plus jeune, on s’habillera à la mode, on s’enduira de crème miracle, on fera appel à quelques injections de botox par ici, par là.  Et pour vaincre les aspects les plus réfractaires, une petite chirurgie vaincra les aléas de cette étape de la vie.  Il faut absolument paraître plus jeune sinon c’est la catastrophe.

Si on nous dit que nous paraissons tellement jeunes, on bombe le torse.  Un médecin a titré son livre « Vieillir et rester jeune ».  Pourquoi ne pas laisser la jeunesse aux jeunes ?  Pourquoi la leur subtiliser ?  Et laissons la vieillesse au vieux.  Pourquoi le médecin n’a-t-il pas titré son livre comme suit « Vieillir en forme » ou encore « Bien vieillir » ?

Je préfère qu’on me dise que je vieillis bien.  N’est-ce pas là le plus beau compliment ?  Comme une petite fille qui rêve de devenir une grande fille ou une adulte, pourquoi ne rêverions-nous pas d’accéder à la vieillesse, d’y voir sa propre beauté différente, de profiter de son savoir et même d’apprendre à lire les rides ?

Voilà une étape de maturité pour peaufiner son être !  Une étape où les souvenirs nostalgiques sont si agréables à l’âme.  L’étape où c’est justement cette âme dont il faut prendre soin et non ce corps.  Hé oui ! Une étape pour atteindre la sagesse et le bonheur : l’ultime pinacle de la vie.

C’est à nous, les vieux, de célébrer la vieillesse auprès des plus jeunes, car c’est là qu’on dessine l’allure de cette génération à venir, la nôtre !  Il faut donner le goût de devenir vieux comme le podium de la vie.

Un projet de vie !  Il faut changer la perception qu’ont les jeunes de la vieillesse.  Il y a bien sûr les balafrés de la vie.  Il y en a à tout âge. Même chez les jeunes.  Il faut adoucir les affres de la vie.

Car d’autre part,  il y a une importante majorité, celle qui se valorise et qui a atteint la vraie substance de cette vieillesse dont les années se prolongent sans cesse.  Il a y là matière à espérer y accéder, et à y faire un projet de vie.

Une madame Rose a sauté en parachute à l’âge de 80 ans.  Une animatrice à la radio lui affirma : « Mais, vous n’êtes pas vieille, Rose, vous êtes resté jeune !  Bravo !  » Les cheveux m’ont dressé sur la tête.  « NON, Rose n’est pas jeuneElle a 80 ans.  Elle est une vieille audacieuse et en forme.  Comme le sont encore plusieurs vieilles et vieux de son âge.  Bravo Rose pour avoir montré que vous pouviez réaliser ce rêve à 80 ans ».

Ils sont nombreux à réaliser à cet âge ce que la vie ne leur a pas permis de faire.  Ils sont nombreux à apporter une contribution à la société. Elles sont nombreuses les belles têtes blanches qui scintillent !  Les beaux vieux !  Ceux-là avec une aura qui rayonne autour d’eux quand ils passent.

C’est cette image qu’il faut propager à toute la société pour qu’on aspire sereinement à atteindre la vieillesse, pour qu’on trouve beaux nos vieux et que leur enseignement n’est pas du radotage.  Pour qu’on leur dise merci pour leur apport passé et présent.  Et surtout que les vieux croient ces propos et se voient avec ce même regard ébloui.

Si la jeunesse savait.  Si la vieillesse pouvait.  Si la jeunesse tétait au mamelon du savoir et de l’expérience, que de belles choses elle pourrait faire, soutenue par de bons vieux supporteurs.

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Claude Bérubé

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