15 août 2024
Qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce l’âge ou l’Alzheimer ? J’ai 82 ans et je m’inquiète !
Je décide d’aller faire certaines choses à l’autre bout de l’appartement, mais, en chemin, je me demande où je m’en vais et pour faire quoi ! Cela m’arrive de plus en plus souvent. Et NON, je ne suis pas atteint par la maladie d’Alzheimer. Mon médecin me l’a confirmé.
La vieillesse a certains attributs comme celui-là, mais pas pour tous les vieux. Comme je vis entouré de vieux dans une résidence pour personnes âgées, il m’arrive d’aborder la question avec mes voisins. Oh là, là ! Je constate, chaque fois que je les interroge, que je ne suis pas seul à déplorer cet état de fait.
Il y a deux ou trois ans, je remarquais que ma mémoire commençait à ralentir, rendant difficile la tâche à trouver mes mots. Allant même jusqu’à oublier certains mots !
Quand j’écrivais des textes, comme celui-ci que vous lisez, les mots justes et adéquats prenaient beaucoup plus de temps à apparaître dans mon cerveau. Même le nom de personnes connues avait fait faire l’école buissonnière à ma mémoire. À force d’effort mnémonique, le mot resurgit tôt ou tard dans ma tête comme s’il jouait à cache-cache.
Il y a dix ans, j’ai pondu un livre que je relis avec plaisir, car le choix des mots français y était à l’avenant et juste. Je ne réussirais pas le même défi, aujourd’hui, à écrire un tel livre, car la recherche du mot juste demande parfois un effort à mes méninges, j’ajoute même souvent, sans atteindre un résultat satisfaisant.
Il fut un temps où la lecture d’un livre de philosophie austère me réjouissait puisque ma compréhension des mots survolait aisément les réflexions qui en jaillissaient.
Dix ans plus tard, la même action m’est pénible, exigeant une ardeur intellectuelle supplémentaire, car mon vocabulaire est plus restreint et le sens des mots ne surgit plus instantanément. La mémoire des mots est de moins en moins au rendez-vous.
Écrire ce texte, que vous avez sous vos yeux, m’a réclamé des recherches dans plusieurs dictionnaires et un temps fou à l’écrire. Comme je l’ai affirmé dans les paragraphes précédents.
J’ai même sollicité une évaluation de ma mémoire à une entreprise spécialisée dans ce domaine de la mémoire. Cette dernière confirma la bonne santé de celle-ci et ajoutant qu’elle répondait aux critères établis pour les gens de mon âge.
Je m’insurgeai à la lecture de cette évaluation. Ma réponse à ces tests provoqua une colère chez moi puisque, contrairement à ces derniers, je constatais personnellement, dans la vie de tous les jours, la réduction de la fonction de ma mémoire. Pourquoi ces tests ne le démontraient-ils pas ?
J’ai compris qu’auparavant je possédais une mémoire supérieure à la moyenne. J’étais choyé par la nature. J’ai bien senti une dégringolade de ma mémoire, de ma capacité d’apprendre des textes et de lire aisément des textes philosophiques et classiques.
Hé bien oui, depuis quelques années, mon cerveau a laissé ma mémoire s’affadir. Les tests le démontrent : j’ai rejoint la moyenne des vieux de 82 ans, de mon âge. Je ne suis pas seul dans ce club. Nous sommes nombreux.
J’avoue qu’il s’agit d’un niveau inconfortable, surtout quand la nostalgie rend nos pensées mélancoliques. On a beau me conforter en me disant que c’est normal. Au diable, la normalité ! J’ai perdu un grand privilège. La vieillesse a ses diktats imposés par l’usure des ans.
Combien de mots contient le vocabulaire français ? Combien faut-il de mots pour tenir une conversation minimale en français ? Il est difficile d’attribuer un chiffre à cette question. Un seul mot peut signifier plusieurs choses, donc il devient plusieurs mots.
Le dictionnaire le Grand Robert contient 90 000 mots tandis que le Petit Larousse en présente 35 000. Le Français moyen utilisera un vocabulaire de 3000 mots. Tandis qu’une personne cultivée élargira son spectre à 6000 mots. On désigne un écrivain de la trempe de Maupassant à un tel volume de vocabulaire.
On dit qu’avec un vocabulaire de 500 ou 600 mots, on peut converser en français, mais un français quasi minimal. Les spécialistes affirment que 4200 mots composent le vocabulaire quotidien moyen.
Pourtant, certaines études soulignent que la langue française courante comporte 32 000 mots, et d’autres affirment un nombre de 60 000, c’est-à-dire incluant des mots avec toutes leurs nombreuses composantes. Et ce n’est pas la langue la plus imposante. La langue anglaise à elle seule en compte 200 000. Que dire du mandarin ?
Un grand plaisir m’anime quand j’écoute et quand je lis Dany Laferrière, Gilles Vigneault, ou Victor-Lévy Beaulieu. Les mots sont uniques et disent les choses avec justesse. Leur bagage de mots est élevé et remarquable, surement au-delà les 6000 mots déjà mentionnés.
Quelle a été la force quantitative de mon vocabulaire dans mes plus belles années ? Et quel est mon bagage aujourd’hui alors que les années de mon vieil âge hypothèquent la quantité de mots que peut supporter ma mémoire affaiblissante.
Ai-je déjà atteint le seuil des 6000 mots ou plus ? Et aujourd’hui ma mémoire se contente-t-elle des 3000 mots du français moyen ? Je l’ignore, et aucune étude ne réussira à le statuer. J’appelle ce phénomène : la mémoire des mots.
Pourquoi vous ai-je emmené sur ce terrain des multiples mémoires qui vivent dans mon cerveau, celle des mots, mais aussi celle de la souvenance des choses ? Parce que je vieillis et que je continuerai de vieillir avec les forces que la vie m’attribuera, dont les multiples mémoires.
Qui serai-je à 85 ans ? À 90 ans ? À 95 ans, si elle m’accorde cette longévité ? Si elle m’accorde le privilège de me souvenir d’assez de mots pour encore écrire ce billet hebdomadaire de 1000 mots.
Claude Bérubé
Ne t’inquiete pas j’ai 74 et ce qui t’arrive m’arrive parfois ou le mot ou le nom me reviens le lendemain .