Apprendre à lire les rides ! Quelle belle métaphore ! Certaines personnes lisent les lignes de la main pour ausculter l’avenir, d’autres lisent les rides du visage pour comprendre le passé, la vie et les humains.
Parce qu’il faut des années pour en déchiffrer l’alphabet. Les jeunes sont plutôt des analphabètes, illettrés, dans ce domaine, car il faut des ans et des décennies pour en déchiffrer les nuances.
Bienheureux les lettrés, car ils auront accès à l’opulente bibliothèque de l’âme humaine.
Pourquoi un jeune de 40 ans, trouvera laide une femme de 70 ans avec des rides, alors que moi, à 79 ans, je la trouverai belle et séduisante ?
Pourquoi sont-ils si nombreux ceux-là qui veulent effacer leurs rides, qui ne cherchent qu’à camoufler leur vieillissement et leur âge ? Pourquoi effacer les traces de leur vie ?
Entendez-vous les doléances de ceux qui refusent de vieillir ? Ils veulent entendre : « mon dieu, que t’as l’air jeune ! » « Tu ne parais pas ton âge. » Il y a des compliments plus beaux à leur faire!
Comme « tu vieillis bien »
J’ai été séduit par une entrevue de Denis Villeneuve où il a évoqué les rides. Ce dernier est un cinéaste accompli qui a conquis ses lettres de noblesse entre autres avec le film encensé qu’est « incendies ».
En tournant le film « incendies » en Jordanie, il a travaillé avec des gens qui vivent la guerre quotidiennement comme des Algériens, des Palestiniens, des Marocains et des Syriens. « J’ai appris à mon équipe comment lire les rides ! Nous les avons compris et la chimie s’est installée. Au-delà des identités raciales, les rides transmettent un langage universel, humain et profond.»
Il confiait, sur le plan international, « qu’il a appris à faire ses films dans ces territoires inhospitaliers en apprenant à lire les rides des populations locales. Ces rides dévoilent les souffrances et les bonheurs, la détermination et l’espoir. »
À 40 ans, on regarde la vieillesse comme une tare. Et on entretient ce cliché jusque dans la vieillesse. Puis rendu là, on se regarde et on se voit comme on jugeait alors les vieux…quand on avait 40 ans avec les critères de cette époque. On regarde notre vieillesse avec les yeux de la jeunesse de notre époque. J’ai 79 ans. Je n’ai pas l’impression d’avoir cet âge. Cependant les artères de mon corps me le rappellent.
On passe beaucoup de temps et d’argent à essayer de se rajeunir, de paraître plus jeune. Puisqu’exhiber un extérieur 10 an plus jeune, n’empêche pas le corps de vieillir de 10 ans de plus. On entretient avec mélancolie l’image de notre jeunesse parce qu’on néglige de découvrir la splendeur de la vieillesse. La vieillesse ne peut-elle devenir le rêve d’une vie ?
N’y a-t-il rien de plus beau qu’un beau vieux ? Un vieux qui sait bien vieillir. Un vieux qui accepte l’extérieur de son corps. Pour enfin cajoler et embellir son intérieur ! Les rides et l’étirement de la peau ne sont-ils pas les indices d’un vécu important, d’un intérieur riche, d’une sagesse disponible et de l’atteinte de la phase ultime ? N’est-ce pas beau ? Combien de fois ne dit-on à des jeunes : « quand vous serez vieux vous comprendrez ». Et quand on est vieux, on refuse de comprendre puisqu’on a cesse de rajeunir son corps pour paraître plus jeune. Mais sans jamais l’être.
Les magazines, en fait ceux qui les dirigent et ceux qui les font, ont tendance à trafiquer les visages en page frontispice pour enlever les traces de la vie comme pour les aseptiser.
Je n’ai pas reconnu Claire Lamarche en première page d’une publication. On avait effacé toutes ses rides, toute la vie de son visage. Pourtant, une photo à l’intérieur la montrait au naturel. Elle, si belle et rayonnante. Pourquoi l’avoir défigurée à ce point ? Quelle raison intelligente peut-on invoquer ? Quel message envoie-t-on ? Ce n’est évidemment pas une erreur ou un lapsus innocent.
Et que dire de Lise Dion en page frontispice. Je ne la reconnaissais tout simplement pas. Par chance, son nom en gros caractère l’identifiait. J’avoue que cela se mariait si bien au sens de l’entrevue de la page voisine où elle affirmait haïr vieillir.
Comment cette femme que j’admire peut-elle inviter sa génération dans cette voie ? Pourtant, son vieillissement lui apporte une aura qui émane d’elle et dont elle ne semble pas soupçonner l’existence. Elle a valorisé la grosseur, pourquoi ne valoriserait-elle pas les rides?
Ce fut aussi le cas de deux octogénaires que sont Dominique Michel et Denise Filiatrault, toutes deux « déridées » en frontispice de magazines : irréelles et déguisées en quadragénaire Elles portent si bien leur vrai âge, tout en beauté. Est-on gêné de révéler la beauté d’une femme qui vieillit bien ?
L’autre jour, France d’Amour, encore toute jeune, présentait son récent disque. Les autres invités ont aussitôt souligné qu’on ne la reconnaissait pas sur la photo de son album. Elle ajouta. « Ouais. J’ai pourtant réclamé le droit d’y voir mes quelques rides, mais mon directeur artistique m’a dit que c’était tendance d’enlever les rides, les boutons, etc. Qu’il fallait conserver ces retouches. J’ai dit OK si c’est la mode. »
Et voilà. C’est tendance d’effacer les rides sur la figure. Qui a déclaré et imposé cette tendance ? Après les femmes anorexiques, voilà les vieilles déridées. Au risque de ne plus les reconnaître. De leur enlever l’expression d’une vie, de la vie.
La soirée des Oscars hollywoodiens est le nec plus ultra du triomphe sur l’autel de la beauté surfaite. Martin Scorcèse, réalisateur américain, réagissait violemment au fait « …de ne plus pouvoir trouver une actrice de plus de 35 ans capable de jouer la colère, tant toutes sacrifiaient leurs expressions sur l’autel du bistouri ou du Botox. Trop, c’est trop ! Et puis, savoir vieillir fait justement partie de la beauté. C’est valable aussi bien pour les femmes que pour les hommes ».
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Bonjour,
C’est un peu par hasard que je suis tombé sur cette page. Je me regardais dans le miroir et j’observais mes premières ridules. Je me suis demandé ce qu’elle pouvait bien signifier. J’essayais donc d’adopter des expressions avec mon visage. Sourire pleure peur grimace. Celle qui reprenait le plus les deux lignes (symétriques enfin à peu près) naissantes sur mon visage prenaient le même chemin que celles qu’empruntent le sourire. Je me reconnaissais bien là mais une virgule en fin de parcours laissait planer un soupçon de tristesse. Là aussi c’était moi enfin un peu. Je repensais à un « doc » sur la mémoire qui la comparait à un cours d’eau. Je me demandais si au delà des formes que dessinaient mon visage, mes larmes n’avaient pas façonné celui ci. Du coup, pour poursuivre sur cette réflexion, je me suis lancé sur mon ordinateur à la recherche du sens des rides. Je suis tombé sur votre page sans imaginer un seul instant les effacer. En vous lisant je reprend conscience de la nécessité de les faire entrer dans notre patrimoine plutôt que de les effacer ou ne pas les voir. Aussi, je me rassurais dans mon miroir en me disant qu’il y avait de la joie passée et surement à venir, je doutais à cause de détails contradictoires. Quoiqu’il en soit, y’a t’il des rides plus belles que les autres. Y a-t-il des histoires plus belles que les autres?
ET VOUS ?