Non, je ne rêvais pas de devenir vieux.

Quand j’étais jeune, la vieillesse me semblait un grenier suffocant. Je ne nourrissais aucun rêve à atteindre cette étape de la vie. Je vivais la performance à fond. Mes idées me conduisaient sur des avenues imprévues et à la découverte de mes talents. Les succès ont toujours été valorisants. Tout était possible pour l’invincible que j’étais. Nos idées avaient plus de valeurs que les traditions vieillottes. Je vivais la Révolution tranquille. Tout ce qui était nouveau faisait office de vérité. Nous écrivions l’histoire.

Comment pouvais-je rêver devenir un de ces vieux radoteux qui ne vivent que du passé et dans le passé, qui n’ont que des propos passéistes, qui ne savent que déblatérer sur ce que font les jeunes. La vieillesse m’apparaissait comme l’antichambre de la mort, une période d’attente à se bercer sur le perron, à jouer au bingo ou à souffrir les aléas de la maladie.

Non, je ne rêvais pas de devenir un vieux. Loin d’être une ambition à caresser. Je me disais qu’à 60 ans, on atteignait l’ultime étape d’une vie émérite, la date finale pour réaliser ses ambitions. Le terminus ! En fait, je ne connaissais pas la vieillesse, sinon que son image extérieure de vieillissement, de rides et de sénilité. C’était sans compter l’augmentation de la longévité, l’addition de nombreuses années à l’après 60 ans.  J’ai vécu intensément toutes ces années de jeunesse  et d’adulte.  J’en suis fier, heureux et satisfait. J’ai vécu des moments mémorables. Mais aussi exécrables ; des coups de poing pleins la gueule. Mais j’avais l’âge de me relever et d’influer favorablement sur ma vie.

Aujourd’hui, j’ai 71 ans, presque 72. J’ai les deux pieds bien enfouis dans cet épisode décrié de la vie et je m’en réjouis. La cerise sur le gâteau. Bien sûr que la force du corps diminue d’intensité. Les cheveux blancs sont moins denses. Le cou raidit. La douleur arthritique est persistante. Les mouvements sont plus lents. Mais quelle belle période de créativité ! Le cerveau puise dans un bassin d’expérience de toute une vie un seau de savoir qui se déverse sur la plate-bande fleurie de la vieillesse. Jamais je n’aurais pensé écrire une telle phrase. On prend des distances avec l’actualité. On relativise les problèmes. Les nuances colorent nos perceptions de l’humanité.  C’est plus reposant de ne plus avoir à prouver quoi que ce soit, à prendre plaisir à ne rien faire ou à faire des choses sans performer. L’histoire ne s’apprend plus toujours dans les livres parce qu’on l’a parfois vécue. Il faut beaucoup d’années pour accumuler autant de souvenirs. Je me complais souvent dans la belle nostalgie réconfortante comme la tarte à grand-maman. Le célèbre radotage passéiste dont on nous affuble n’est que le grand livre, l’imposant dictionnaire d’une longue vie. À quoi a servi ma vie si je dois la taire ? Quand je vois les jeunes refaire les erreurs qui m’ont causé bien des problèmes, j’aimerais leur confier une mise ne garde et être entendu. Même les rides deviennent une parcelle de beauté, témoins des aléas de cette vie. Il faut apprendre à bien vieillir. Si j’imite ma mère qui nous a quittés à l’âge de 96 ans, il me reste bien 25 années à vivre, suffisamment pour avoir des projets et une vie encore active. Ne faut-il voir la vieillesse avec des yeux neufs ?

Bien sûr, il y a les éclopés et les balafrés de la vie, mais il y en a aussi beaucoup chez les enfants et même les adultes. Cinq pour cent des vieux ne sont plus autonomes. La vieillesse est vraiment une longue étape active de la vie à laquelle on peut aspirer et y concrétiser ce qui est resté en plan. Et même réaliser des choses qu’on n’a pas encore imaginées. À l’enseigne du magasinage, après avoir empilé de multiples rêves dans son charriot, pourquoi ne  pas glisser celui de devenir un beau vieux afin de profiter prodigieusement de ces années supplémentaires que la vie nous offre.

Eh oui! On peut rêver de devenir vieux.

 

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2 réflexions au sujet de « Non, je ne rêvais pas de devenir vieux. »

  1. Je viens de découvrir votre blogue, et j’ai eu beaucoup de plaisir à vous lire. Ayant atteint les 70 ans récemment, j’ai trouvé réconfortant vos propos positifs sur le fait de vieillir. J’ai aussi aimé le contexte « style: les insolences d’un petit vieux » bien que pour ma part, je me sens encore incapable de me percevoir comme une petite vielle. Toutefois, vos courts textes sur divers sujets traités du point de vue assumé de l’expérience m’ont encouragé dans mon intention d’écrire des passages de ma vie dès que j’aurai plus de temps… Merci

  2. Bonjour M. Bérubé.
    Je viens moi aussi de découvrir votre blogue via Espace 50+. Je suis une retraitée active, engagée dans sa communauté et j’aime la vie.Je me propose de lire vos différents commentaires (et s’il y a lieu, vous faire connaître mon opinion sur les sujets abordés) au fur et à mesure que le temps me le permettra car je passe plus de temps directement avec les gens que sur internet. Toutefois, je trouve que votre idée de blogue est super. Je compte, moi aussi éventuellement partager mes réflexions sur différents sujets qui me tiennent à cœur. Ce sera pour moi un plaisir de me joindre à vous et aux autres blogueurs.

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