Combien faut-il de morts pour qu’une catastrophe fasse la manchette ? Les blessés sont moins importants. Il y a ce culte pour les morts et l’oubli pour les blessés, les éclopés pour la vie. Pour un mort lors d’un drame, on organisera des veillées de recueillement. Pour plusieurs morts, la cérémonie funéraire sera de mise. La une des médias sera mise à profit.
Les témoignages qui donnent lieu au déluge des larmes orneront les reportages. Il est évident que la perte d’un être cher causera des ennuis aux survivants. Surtout s’il s’agit d’un père et d’une mère aimants. Toute mort donne lieu à un drame, qu’elle soit publicisée ou anonyme.
Les blessés eux deviendront un nombre dans la statistique. Quatre, dix blessés. Pourtant pour un grand nombre, la vie ne sera plus la même. Pourtant, c’est là que commence la tragédie pour plusieurs. Ils seront des éclopés, des balafrés, pour toute leur vie. Les uns seront privés de leurs jambes. D’autres seront paraplégiques. Les yeux ont souvent été les cibles. Pour un grand nombre, la souffrance atroce deviendra une compagne pour la vie. S’ils étaient morts, tout serait fini.
Ceux qui reviennent de la guerre sanglante sont plus à plaindre que ceux qui sont restés.
Comme l’a écrit Michèle Ouimet dans la Presse plus le dimanche 25 mars : « Le pire, ce ne sont pas les cadavres, mais ceux qui survivent : une femme à la jambe arrachée dans un hôpital de fortune à Port-au-Prince après le tremblement de terre, des familles qui meurent de faim dans des villages en Zambie, des enfants rwandais traumatisés parce qu’ils ont vu leurs parents se faire éventrer et qui sont incapables de dormir de peur de basculer dans un cauchemar, des femmes dans un camp de réfugiés à la frontière du Soudan qui m’ont raconté leur viol en baissant les yeux, le rouge de la honte au front. »
Comment rester insensible à ce texte ? Les malheureux sont souvent ceux qui restent, éclopés, balafrés, traumatisés, violés qui traîneront leurs handicaps tout au long d’une vie.
Lors d’une tuerie, on érigera un cénotaphe pour mentionner le nom des morts. On fera des funérailles grandioses. Des héros ! Ceux qui survivent font partie de ces blessés anonymes et de ces quidams.
Loin des guerres, les accidents de travail allongent une longue liste de victimes qui traîneront leurs invalidités, bien souvent sans aide suffisante.
Loin de moi l’idée de minimiser les morts héroïques, je veux juste souligner l’héroïsme de ceux qui survivent accablés par la tragédie, par les blessures douloureuses et qu’on marginalise.
Outre les guerres, les tueries dans les écoles et celles provoquées par le terrorisme, il y a les humeurs de la nature, les simples accidents de la circulation et les simples accidents tout court, il y aura toujours des mères et des pères de familles, des enfants, des vieux dont l’absence ajoutera à la misère. Il y aura toujours des héros parmi les éclopés comme parmi les décédés.
Trop souvent la société est mal équipée pour aider et soutenir les malheureux. Il faut savoir mourir dans la dignité, mais aussi vivre dans la dignité malgré le mauvais sort.