La liberté d’expression, un vieux débat

Il a 12 ans ce jeune garçon qui traverse la cour d’école en se faisant petit pour attirer le moins l’attention possible. Son problème ? Il est laid; un œil plus bas que l’autre, le nez courbé, les oreilles très décollées avec un léger déficit.  Il y a aussi cet autre garçon, plus corpulent, parlant très fort pour impressionner la galerie de jeunes adolescents qui l’entourent. Il vient de remarquer  le premier. Il l’apostrophe par un « maudit que t’es laid avec tes oreilles en portes de granges ».

Les autres qui encerclent le chef de bande s’esclaffent tous ensemble pour accompagner son rire tonitruant. La victime rentre les épaules, penche la tête en regardant la pointe de ses pieds et en accélérant le pas pour s’éloigner.  Des larmes viennent brouiller son regard. Il vient de vivre une autre intimidation. Inutile de décrire les émotions qui le traversent et les pensées noires qui l’assaillent.  D’autres comme lui ont pensé au suicide. D’autres l’ont fait.

Pourtant,  de multiples campagnes contre l’intimidation font leur bonhomme de chemin et ne suffisent pas à la tâche. Si on fait un reproche au chef de bande, il répondra «  je suis libre de dire ce que  je veux »,  sous l’approbation en chœur de ses disciples. J’aimerais savoir ce qui se passe dans la tête de cet intimidateur.

Cette histoire s’est déroulée il y a 50 ans. Comme quoi les choses n’ont pas changé. Il y aura toujours des intimidateurs dont les méfaits font rire les autres comme si la victime a glissé sur une pelure de banane. Il y aura toujours des intimidateurs pour se parer du poncho de la liberté  d’agir ainsi. Le débat sur la liberté en général et d’expression, en particulier sévissait déjà il y a 50 ans. Ce débat n’est pas chose nouvelle.

La frontière n’a jamais été bien définie et ne le sera jamais à savoir où commence la liberté d’expression et où finit-elle.  Il y a deux mots différents à évaluer soit liberté et expression.  Le mot liberté implique que nous pouvons tous faire tout sans exception. Jusqu’à l’anarchie. Pourtant, les sociétés sur la planète ont mis des balises d’acceptabilité, des limites à observer. Les lois et règlements en sont des exemples.  Il y a un cliché qui stipule que votre liberté se termine où celle de l’autre commence.

Il y a donc une ligne à ne pas dépasser et si nous la dépassons, il est fort possible que nous recevions un panier de tomates sur la tête.  Nous sommes libres de nous promener nus sur notre terrain tant que notre voisin ne se sente brimé dans sa pudeur chez lui. La police viendra certes vous en avertir. Les lois et règlements sont établis pour cela. Mais, il y a aussi ces lignes de démarcation subtiles, ces lignes psychologiques, que nous découvrons au fur et à mesure de l’acceptabilité sociale. La mesure se définit à la pièce par les réactions suscitées comme précédents.

Combien de journalistes et de commentateurs radiophoniques et autres se sont trouvés devant un tribunal pour répondre à des poursuites.  Les juges ont statué bien des fois sur cette liberté d’expression déterminant les balises dans chaque cas. Les jugements  ont varié, à la pièce, et selon l’époque puisque l’acceptabilité sociale peut évoluer dans le temps. Donc, la liberté  tout court et la liberté d’expression peuvent prendre des couleurs de saisons dans le temps et aussi les régions. Au gré des poursuites judiciaires ou de l’opprobre populaire que j’ai baptisé les paniers de tomates.

Comme quoi tout ce débat n’est pas né avec l’affaire Mike Ward vs Jérémy Gabriel.  Condamné à verser des arrhes à la victime, Mike Ward a décidé de « poursuivre son combat jusqu’à la Cour Suprême du Canada » affirme-t-il.. Il continue à pourfendre avec acharnement le jeune Jérémy dans ses spectacles affirmant qu’il continuera son combat «  jusqu’à ce qu’il soit mort ».  Une drôle application de l’humour.  L’humour a-t-il le droit de franchir la ligne de l’acceptabilité sociale. La rectitude politique branche la communauté des humoristes d’un côté, soit l’immunité totale vouée à l’humour, et ceux qui ont de la compassion pour la victime d’un autre côté, soit à la rescousse d’un balafré de la vie.  Deux clans.

Je ne me présente pas comme un partisan de l’un ou de l’autre, mais comme un disciple de la liberté de parole et d’expression civilisée. Et quand l’arbitre prend une décision, j’y vois une nouvelle balise que l’on doit respecter ou contester légalement.  Mais de mettre fin à l’acharnement et à l’intimidation. C’est à ce prix que la vraie  liberté est gagnante.  Mike Ward affirme que sa carrière s’amplifie depuis cette histoire. Je ne crois qu’une popularité grandissante d’un humoriste soit un critère pour repousser les  nouvelles balises pour la société. Je ne souhaite pas que Mike Ward fasse un Dieudonné de lui-même.

 

 

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