Entendez-vous les trompettes retentir pour annoncer la charge du début des hostilités ? Ils sont là les gladiateurs, chacun dans son coin, face à face, écume à la bouche, prêts à bondir pour s’entre-déchirer. Dans le coin gauche, le clan favorable à la Charte et dans le coin droit le clan défavorable à la Charte. Chacun bien campé sur ses positions. L’amorce du dialogue souhaitée n’aura pas lieu. Le Québec est divisé en deux. Nous n’en sommes pas à la première fois. Cela vous rappelle-t-il quelque chose ? Outre les deux référendums, les grandes réformes ont toujours soulevé les passions de clans. Les allégeances tiennent lieu de point de vue. Et ça ne date pas d’hier. Il suffit que le général claironne le début des hostilités.
Et le Québec est divisé encore une fois, sclérosé devant un projet national. Grâce aux nombreuses années que j’ai cumulées derrière la cravate, j’ai vu à maintes reprises le Québec se diviser en deux clans, s’affronter. Comment croire qu’il soit enfin possible de tous nous rallier derrière une cause. Je me souviens, « une devise qui me sied bien, » bien avant l’année 1970, il y avait les bleus et les rouges, soit le parti de l’Union Nationale et le parti Libéral. Nul ne doute sur les accointances religieuses du parti Bleu, quand le curé en chaire déclarait que le ciel est bleu et l’enfer rouge. Mon oncle marchait deux coins rues de plus pour éviter de faire son épicerie chez un rouge à deux pas de chez lui. Une famille de rouge ne fréquentait pas une famille de bleu. On votait bleu. On votait rouge. Peu importe la cause ou le projet. Hors du parti, point de salut
Il fallut un referendum pour voir renaitre une méfiance semblable entre les maudits séparatistes du PQ aux idées socialistes et les traitres fédéralistes du parti Libéral au crochet de l’entreprise privée, « des Anglais et des ethnies ». Le premier est à la solde des corporations syndicales. Le deuxième se graisse la main dans la corruption, la fraude et la mafia. Les coups bas sont de mise. Son camp est évident. Deux partis. Péquiste. Libéral. Les autres ne sont que distractions. Hors du parti, point de salut.
Il faut se rappeler la fondation du Ministère de l’Éducation. Les religieux ont dû céder la place aux laïcs. Une réforme incontournable et audacieuse dans l’histoire du Québec. Elle scinda le Québec en pour et contre. On ne déloge pas facilement l’establishment. Au point où le parti libéral, rouge, en perdit les élections. L’Union nationale, bleue, elle qui était contre dans l’opposition, a mis en place cette réforme tant décriée par eux, mais nécessaire.
J’ai souvenance de tous les affrontements sur la langue française. C’est dans la rue et l’occupation d’écoles qu’on s’est opposé aux désidératas de la communauté italienne qui voulait des écoles anglaises. Deux options qui servirent aussi de cri de ralliement et formèrent deux clans. Deux premiers ministres perdirent leurs élections en voulant ménager le chou et la chèvre, et faire des compromis par des lois mièvres. Une fois le parti bleu. Une fois le parti rouge. Sans jamais régler le sort de la langue.
Finalement la loi 101 s’est imposée à travers la kyrielle de menaces de quitter le Québec en bloc. Une autre réforme qui divisa le Québec. Avant et après. Mais qui fut une loi nécessaire et charnière. Curieusement, ce sont les mêmes acteurs opposants pour la charte. Hors du parti, point de salut.
La réforme du ministère de la Santé a aussi obnubilé les clans des pour et contre. Évidemment, les médecins, surtout les spécialistes, menaçaient de quitter le Québec. Les compagnies d’assurances promettaient de mauvais jours pour le Québec. À bout de bras, le ministre, malgré une opposition acariâtre, accoucha d’une réforme qui fut bénéfique pour les Québécois. Et les médecins sont toujours là.
Dans notre système parlementaire, l’opposition a pour mission de s’opposer. Il devient difficile à un gouvernement minoritaire d’imposer des réformes majeures. En général, les bonnes réformes ont pris place grâce à des partis majoritaires. Sinon, l’opposition s’opposera parce qu’elle doit s’opposer pour faire des gains et récupérer les opposants dans ses rangs.
Un nouveau joueur s’est immiscé sur la patinoire, ce sont les médias qui, par leurs choix, polarisent le débat. Leur influence est imminente et peut même influencer le choix final. Grâce à ce canal, les opposants ont dorénavant une tribune de choix.
Aujourd’hui, la Charte des valeurs québécoises vient de poindre le nez. Une réforme importante issue d’un parti minoritaire. Le clairon a vite annoncé le début des hostilités. Le dialogue calme et productif, rêve inaccessible, n’aura pas lieu. On est pour si on est péquiste et contre si on est libéral. L’opposition libérale vient de trouver son sabre pour attaquer, pour guerroyer. Elle est l’opposition. Son adversaire est minoritaire. L’occasion du pouvoir est au bout de la lame. Elle doit donc s’opposer. Puisque la réforme dirige sa mire vers la clientèle du parti Libéral, le temps est bon pour mobiliser et s’attacher ces partisans. On invective, on accuse, on brandit des slogans, on menace de quitter le Québec, on menace de poursuites judiciaires, on focalise sur le voile. Le parti québécois perdra la cadence d’une vraie discussion et découvrira son incapacité à renverser une obstruction née bien avant l’annonce du projet. Comment expliquer la tenue d’une manifestation monstre, bien organisée et bien rodée, regroupant toutes les minorités disparates, quelques jours à peine après l’annonce du projet de réforme. Comment une telle manifestation a-t-elle pu être mise sur pied en quelques jours ? Il est évident qu’une organisation rodée préparait déjà l’événement. On est pour. On est contre. Les clans campent déjà bien les positions qui ne fléchiront pas. Le vrai débat calme n’aura pas lieu. Parce qu’il faut un gagnant. Peu importe le résultat. Hors du parti, point de salut.
Non, il n’y pas de crise, ni péril en la demeure. Pourquoi faut-il attendre les crises pour prendre des décisions ? Pourquoi ne pas installer des balises dès maintenant pour prévenir les débordements futurs ? Les minorités représentent un si faible pourcentage des employés de l’état. Faisons l’hypothèse que la moitié d’entre eux porte un vêtement ostentatoire. Ils sont minimes ceux qui sont directement touchés. Il serait facile d’accommoder ce petit groupe sans mettre en péril toute la charte.
Sous plusieurs formes, l’immigration déstabilise le Québec. Déjà, on voit la l’agglomération de Montréal se différencier des régions. L’absence d’immigration dans cette grande partie du territoire du Québec signifie la concentration à Montréal. À 50,000 nouveaux immigrants par année dont la majeure partie choisira la métropole, il est facile d’imaginer Montréal dans 20 ans. Où s’installera ce million de néo-Québécois ? Le Québec sera alors divisé en deux parties à moins de fixer dès maintenant des balises qui incitent les immigrants à se disperser dans les régions en commençant par la ville de Québec. Facilitant ainsi le métissage. Le Québec sera plus vivable dans 20 ans si nous agissons maintenant, sans attendre que les crises surgissent. Nous pouvons aborder la laïcité aussi dans un climat serein. La charte mérite certains ajustements, un polissage plus brillant. Tout n’est pas mauvais comme le propagent l’opposition et sa clientèle. Pour l’instant, je me prépare au carnage d’un essai de charte. Les généraux sont au poste.
Un premier sondage et voilà le fameux environ 40 % qui se faufile. 40% sont pour et 40% sont contre. Les votes de clans. Il reste toujours le 20% constitué des tiers partis et des indécis. Si on soustrait les irréductibles des tiers partis, les victoires ou défaites se logent autour du faible pourcentage disponible. Seul un débat à hauteur d’idées, loin des choix de clans, permettra un choix honnête et fera mentir tout ce texte précédent, que le Québec se divise toujours en deux clans lors du choix des grandes réformes.
De toute façon, les règlements de compte qui suivent sont souvent humiliants.
Très intéressant.